Mes prophéties sur le collégien du futur

John William Waterhouse - The Crystal Ball
J’avais promis dans un précédent billet de commenter rapidement mes prophéties sur le collégien du futur. Je l’avoue, c’était une promesse de Gascon (une spécialité locale ici 😉 ) ; sept mois plus tard, les bribes de ce billet de commentaire restaient paresseusement alanguies dans mon moleskine et, comme personne ne s’en était ému, moi aussi je jouissais avec indolence de cette impunité. Mais voici que quelqu’un a lu mon billet et fait remarquer que j’ai manqué à ma parole ! Je suis pris la main dans le sac et comme le sycophante n’est autre qu’Eric Delcroix dont je suis les publications depuis… longtemps… je ne pouvais plus ne pas publier ce billet. Le voici donc remis à jour aujourd’hui.

Nous sommes en effet à mi-parcours (ce texte d’avril 2006 essayait d’imaginer ce que serait la vie d’un collégien 10 ou 15 ans plus tard). Dans quelle mesure la vie d’un collégien de 2014 correspond-elle à ce que j’avais imaginé ? Une des prophéties s’est assurément réalisée (mais sur celle-ci je n’avais guère de doutes) : mon fils est entré en 6ème cette année et je me trouve donc avoir un spécimen de collégien tout frais à examiner.

NB : Il ne s’agit pas de savoir si j’avais raison, si « j’avais vu juste ». Ce point n’est pas très important (sauf si un jour j’envisage de m’installer comme voyant ; dans ce cas mes lecteurs seront les premiers informés, naturellement 😉 ) d’autant que je n’aurais pas la prétention de soutenir que mes propositions étaient très originales. Il est plutôt question de savoir si le numérique et ses usages par les jeunes ont évolué comme on pouvait le prévoir alors ou si des révolutions inattendues ont eu lieu en ce domaine.

Ce qui s’est confirmé

En premier lieu, il faut reconnaître que les smartphones se sont généralisés (le premier iphone est sorti presque un an après la publication de mon billet. Essayez de vous souvenir de ce qu’était un smartphone en 2006… Un article de décembre 2006 donne le top 3 des smartphones de l’année : le Nokia E61 (voir photo), le Blackberry Pearl 8100 et le Motorola MING A1200). Désormais, à peu près tous les téléphones mobiles ont les fonctionnalités que j’évoquais : navigation web, fonctions multimédia etc.

Nokia E61 fr
De même les fonctions de géolocalisation sont maintenant largement disponibles sur les terminaux et des applications en tirent profit pour proposer des notifications liées au lieu où se trouve l’utilisateur : on pense évidemment à Foursquare, qui envoie des notifications sur les contacts qui sont à proximité, sur les offres des commerçants proches, sur les commentaires associés à un lieu. Cet exemple est le plus caractéristique et le plus proche de ce que j’évoquais (le téléphone indique à Théo qu’un de ses amis est à proximité) mais on peut aussi penser à la légion d’applications qui permettent de trouver les (restaurants|musées|toilettes|…) les plus proches de l’endroit où on se trouve ou qui utilisent la géolocalisation pour apporter des informations sur un lieu (certaines applications de réalité augmentée, guides de musées…) Je peux même régler mon téléphone pour que le réveil ne sonne que quand je suis dans un lieu donné !

Un autre point est confirmé, c’est l’importance qu’a conservé le papier dans le travail du collégien :

Le cartable d’un collégien sera beaucoup plus léger, dans dix ans ; il lui servira à transporter quelques feuilles de papier et de quoi écrire, mais son instrument le plus important sera son téléphone portable.

Et même, contrairement à ce que j’avais imaginé, les élèves de collèges n’en sont pas à prendre des notes sous forme numérique en classe et les cartables ne sont guère plus légers qu’ils n’étaient à l’époque.

De même, l’évolution de l’utilisation du courrier électronique est à peu près celle que j’avais dite : les jeunes utilisent très peu, et de moins en moins, ce moyen de communication et ils le perçoivent comme un « truc de vieux ». Les exemples sont nombreux :

  • La société Atos, sous l’impulsion de ses jeunes salariés (son personnel est en grande partie constitué de consultants en début de carrière), a décidé en 2011 de supprimer tous les courriels internes avant 2014 ; un réseau social d’entreprise a été mis en place pour remplacer cet outil. Même s’il semble que ces ambitions aient été fortement revues à la baisse depuis, cette annonce montre bien la vigueur de la tendance contre le courrier électronique dans notre société.
  • Un enseignant mon confiait un jour que lorsqu’il cherchait à obtenir les adresses électroniques de ses élèves, beaucoup n’en avaient pas ou ne les consultaient pas. Pourtant, comme il le fait remarquer, tous ou presque sont utilisateurs de Facebook et cette plateforme nécessite une adresse email pour créer un compte (et c’est même cette adresse qui est utilisée comme identifiant de connexion).

Il est vrai que les courriels ne sont pas devenus payants. Toutefois, un hébergeur m’a dit, il y a déjà quelques années, que la gestion du courrier électronique constituait la première source de coût pour son entreprise (gestion des serveurs exigeant une puissance de calcul et un espace de stockage de plus en plus importants, logiciels destinés à lutter contre les abus et les attaques, support utilisateur…). Thierry Venin (qui, en plus de ses innombrables qualités, a également celle d’être le directeur de l’Agence départementale Numérique 64, dans laquelle je travaille 😉 ) donne dans sa thèse de nombreux exemples du coût que représente la multiplication du courrier électronique et surtout de l’image négative qu’en ont les utilisateurs, notamment en ce qui concerne le stress au travail. Il est probable que ce moyen de communication ne soit jamais payant, simplement parce que, désormais, plus personne ne serait disposé à payer pour elle, mais il est probable qu’à moyen terme il disparaîtra dans sa forme actuelle.

Ce qui reste à venir

Il existes des applications dotées d’une certaine forme d' »intelligence ». Je pense notamment à Siri sur iOS qui « comprend » des questions en langage naturel et leur trouve une solution. Je ne connais pas Siri, mais j’ai eu l’occasion de voir un peu fonctionner Google Now. Il se comporte à peu près comme l’agent intelligent de Théo, pour certaines choses simples. Par exemple, il me dit quand je dois partir avant un rendez-vous, en tenant compte des conditions de circulation du moment, m’indique le chemin à prendre pour m’y rendre. Il fait aussi des choses encore plus « intelligentes » (et qui font un peu peur, je l’avoue) ; voici un exemple (tiré d’une expérience réelle) : pour un déplacement à Paris, je note l’heure et l’adresse de la réunion dans mon agenda Google, je réserve un hôtel sur booking.com, qui m’envoie un email de confirmation. A mon arrivée à Paris, sans aucune action de ma part (à vrai dire, je n’avais activé ce service que par curiosité, sans comprendre à quoi il servait), un message sur mon téléphone m’annonce : « Vous êtes à Paris. Vous avez réservé un hôtel pour cette nuit. Voici l’itinéraire pour vous rendre à cet hôtel, vous y serez dans 40 minutes. » Il n’a pas manqué ensuite de me faire savoir l’heure de ma réunion et le chemin à suivre pour y aller. On approche de certaines fonctions de l’agent intelligent de Théo (jusque dans le zèle appliqué à lire les messages à la place de leur destinataire 😉 ). Toutefois, l’usage aussi systématique que dans l’histoire de Théo n’est pas encore généralisée et les applications restent encore assez rudimentaires.

Globalement, comme Eric Delcroix le fait remarquer, ce qui dans mon billet correspond le moins à la réalité actuelle est ce qui concerne le collège de mon jeune cobaye. J’avais bien raison d’écrire : « La plupart des cours se déroulent comme quand les parents de Théo étaient au collège ». Les cours en visio-conférence n’existent pas, à ma connaissance, autrement que sous forme d’expérimentations ici ou là (à vrai dire, je reste très perplexe sur l’efficacité de tels dispositifs). Ce sur quoi je pensais avoir peu de chance de me tromper est sans doute ce qui a le moins évolué depuis 2006 : il s’agit des ENT. Dans ce domaine, rien n’a changé en dix ans : ces systèmes sont ce qu’ils ont toujours été, des usines à gaz, rêves d’ingénieurs de ministère, dont la principale utilité semble être de faire fonctionner l’économie en poussant les collectivités à subventionner à fonds perdus toutes sortes de prestataires (éditeurs de logiciels, intégrateurs, hébergeurs, éditeurs de contenus…). Les avancées sont marginales et portent plutôt sur les infrastructures et le « back office », le côté utilisateur restant laid, peu ergonomique et indigent en termes de fonctionnalités.

Autre point étonnant : alors que les smartphones sont de plus en plus répandus dans la vie quotidienne de chacun, ils ne sont pas entrés dans les établissements scolaires. Que dis-je ? Alors que beaucoup d’élèves sont munis de cet outil qui pourrait leur permettre de faire beaucoup de choses en classe (prendre des notes, photographier des expériences, rechercher des informations etc.), le législateur a pris soin de s’assurer qu’ils ne pourraient pas en faire usage.

Je ne parle pas de tous les amusants dispositifs automatiques destinés à remplacer l’appel en classe, retrouver les élèves égarés etc. Nous en sommes loin (et ce n’est peut-être pas plus mal)…

Ce que je n’avais pas vu

Je suis peut-être pardonnable de ne pas avoir vraiment prévu deux éléments importants de la vie d’un collégien du futur (du présent en tout cas) : les tablettes et les réseaux sociaux.

En ce qui concerne les tablettes, il n’y a rien à dire, elles ne sont en rien différentes d’un smartphone dans leurs fonctionnalités.

Pour les réseaux sociaux, je n’avais pas imaginé leur existence en tant que tels, mais j’avais tout de même envisagé des fonctions qui sont désormais liées à ces outils : savoir quand un contact est à proximité, savoir comment un jeu vidéo est évalué par les autres joueurs, combien de contacts sont connectés à un moment donné etc.

Finalement, avec un peu plus de réseaux sociaux et, peut-être, en agrandissant un peu l’écran du smartphone de temps en temps, pour en faire une tablette (ceci dit, je persiste à penser que le smartphone est un outil très versatile et facile à transporter, beaucoup plus simple à utiliser et à « gérer » en classe), je maintiens à peu près ces prophéties pour l’échéance prévue.

Et vous, comment voyez-vous la vie d’un collégien dans 2 à 7 ans ?

Apprendre à coder ? Apprendre l’informatique ? Apprendre le numérique ?

Code python dans vim, photo sous licence CC de moleculea

Photo : Vim + NERDTree + Taglist par moleculea

J’ai participé samedi dernier à une conversation sur Twitter sur la question de l’utilité d’apprendre à coder au collège ou au lycée :

On peut distinguer deux grands pôles dans les débats sur ce sujet :

  • Le pôle « pratiques » selon lequel il suffit d’apprendre aux élèves à utiliser le numérique sans leur demander d’entrer dans la technique informatique sous-jacente.
  • Le pôle « techniques » qui considère que pour bien utiliser le numérique il faut savoir comment il fonctionne et donc apprendre à programmer.

Étrangement, il semble qu’il y ait peu de positions intermédiaires entre ces deux pôles. A priori et depuis longtemps, je suis plutôt du côté des « pratiques » : je ne connais rien au fonctionnement de ma voiture et ça ne m’empêche pas de faire 50000 km par an. Toutefois, avec le temps, j’en suis venu à nuancer cette position et à me dire qu’un apprentissage de certaines notions d’informatique serait utile.

Voici donc quelques réflexions à ce sujet (en plus de 140 caractères 😉 ) sur lesquelles je vous invite à réagir (en commentaires ici même par exemple, ou sur Twitter).

Questions de vocabulaire

Mes lecteurs fidèles savent que j’aime bien préciser le vocabulaire avant de discuter une question. C’est souvent un préalable indispensable sur ce qui touche au numérique où les buzzwords et les petits-mots-pour-avoir-l’air-savant-ou-à-la-mode-ou-les-deux-en-même-temps sont souvent très répandus, sans que personne ne comprenne vraiment ce qu’ils signifient (précisément parce qu’ils n’ont pas le même sens pour tout le monde).

Il faut donc s’entendre sur ce qu’on appelle ‘coder’. Dès ce point, un problème va se poser : classiquement, le verbe ‘coder’ (qui provient de l’anglais ‘to code’), pour le sens qui nous intéresse, signifie écrire du code informatique, c’est-à-dire du code exécutable. Il est un synonyme de programmer, c’est-à-dire ‘produire un programme informatique’. Ainsi, coder, c’est écrire dans des langages de programmation, comme C, C++, Java, Python, Ruby, Lisp, Cobol, Basic, Javascript, PHP… (et beaucoup d’autres) pour fournir des instructions à un ordinateur : « affiche une fenêtre », « écris telle phrase à l’écran », « fais tel calcul », « trouve telle information dans tel fichier » etc.

Par un glissement de sens subtil, ce verbe en est venu à signifier « écrire des choses incompréhensibles pour le commun des mortels mais qui fait sens pour un ordinateur ». C’est ainsi qu’on en arrive à parler de coder pour « écrire du HTML ». Le HTML n’est pas un langage de programmation, mais un langage de description de page. Il ne permet pas de dire à l’ordinateur de faire un calcul, par exemple, il se contente de lui dire que tel mot doit apparaître dans telle couleur, à telle position, dans telle taille de caractères. En fait, j’aurai l’occasion de parler plus tard de ces questions.

Si je me permets cette (trop) longue digression sur les sens du mot ‘coder’, ceux qu’il a réellement et ceux qu’on lui attribue un peu trop généreusement, c’est que, je crois, par une sorte d’admirable mise en abyme, la question de « pourquoi apprendre à coder » se trouve posée dans cette expression même. Il me semble en effet que si nous avions tous une expérience plus concrète de ce qu’est l’informatique, ces glissements de sens n’existeraient pas, non plus que les incroyables dialogues de sourds auxquels ils donnent parfois lieu. J’y reviendrai.

Deux autres définitions pourront être utiles. Comme je suis épuisé par la première (et que, je l’avoue, j’ai peur de lasser mes lecteurs avec mes définitions approximatives), je vais emprunter celles-là à l’Académie des Sciences (avouez qu’entre une de mes définitions et une autre écrite par des académiciens, vous ne perdez pas au change) :

  • Le mot « informatique » désignera spécifiquement la science et la technique du traitement de l’information, et, par extension, l’industrie directement dédiée à ces sujets.
  • L’adjectif « numérique » peut être accolé à toute activité fondée sur la numérisation et le traitement de l’information : photographie numérique, son numérique, édition numérique, sciences numériques, art numérique, etc.

On parle ainsi de « monde numérique » pour exprimer le passage d’un nombre toujours croissant d’activités à la numérisation de l’information et « d’économie numérique » pour toutes les activités économiques liées au monde numérique, le raccourci « le numérique » rassemblant toutes les activités auxquelles on peut accoler l’adjectif numérique. Puisque toute information numérisée ne peut être traitée que grâce à l’informatique, l’informatique est le moteur conceptuel et technique du monde numérique.

(Rapport de l’Académie des sciences. L’enseignement de l’informatique en France. Il est urgent de ne plus attendre., p. 8)

Les deux pôles du débat

Comme je le disais plus haut, il me semble que sur cette question on peut distinguer deux pôles. Deux textes me semblent emblématiques de chacun de ces deux pôles :

Le pôle « technique » : rapport de l’Académie des sciences

Les auteurs du rapport partent du constat suivant :

  • Le développement du numérique est intimement lié aux progrès de l’informatique, qui est devenue une science autonome avec ses formes de pensée spécifiques. Si les objets et applications numériques évoluent à allure soutenue, la science informatique reste fondée sur un ensemble stable et homogène de concepts et de savoirs.
  • Nombre des progrès technologiques les plus marquantes de ces dernières années sont des produits directs de l’informatique : moteurs de recherche et traitement de très grandes masses de données, réseaux à très large échelle, informatique sûre embarquée dans les objets, etc.
  • De par l’universalité de son objet, la science informatique interagit de façon étroite avec pratiquement toutes les autres sciences. Elle ne sert plus seulement d’auxiliaire de calcul, mais apporte des façons de penser nouvelles.

(Rapport de l’Académie des sciences. L’enseignement de l’informatique en France. Il est urgent de ne plus attendre., p. 3)

Ils estiment donc nécessaire d’enseigner la science informatique dès l’école primaire, en proposant une progression jusqu’au lycée (et même au-delà):

  1. La sensibilisation, principalement au primaire, qui peut se faire de façon complémentaire en utilisant des ordinateurs ou de façon « débranchée » ; un matériau didactique abondant et de qualité est d’ores et déjà disponible.
  2. L’acquisition de l’autonomie, qui doit commencer au collège et approfondir la structuration de données et l’algorithmique. Une initiation à la programmation est un point de passage obligé d’activités créatrices, et donc d’autonomie.
  3. Le perfectionnement, qui doit se faire principalement au lycée, avec un approfondissement accru des notions de base et des expérimentations les plus variées possibles.

(Rapport de l’Académie des sciences. L’enseignement de l’informatique en France. Il est urgent de ne plus attendre., p. 4)

Cet enseignement passe la création d’une nouvelle discipline, qui doit être enseignée à tous les jeunes, en adaptant les exercices et les objectifs au niveau d’enseignement et (au lycée) aux options et aux filières choisies. Le rapport prévoit aussi la formation des enseignants qui seraient amenés à enseigner cette nouvelle matière : formation des enseignants de premier degré pour qu’ils puissent enseigner cette matière comme ils enseignent déjà les autres, création de concours CAPES/Agrégation pour former les nouveaux enseignants d’informatique du secondaire.

Les finalités de cet enseignement sont les suivantes (p. 13 sq.):

– « Former les professionnel-le-s de tous les métiers » : puisque de plus en plus de métiers utilisent l’informatique ou ont à traiter de questions qui sont liées à ce domaine, les professionnels qui les pratiquent doivent pouvoir le comprendre d’une façon satisfaisante. Un exemple est particulièrement éclairant à cet égard :

Par exemple, les juristes sont de plus en plus souvent amenés à écrire et appliquer des lois qui concernent des questions liées à l’informatique. L’expérience récente montre que leur difficulté à comprendre et suivre le sujet mène à des retards permanents dans l’action, voire à des contresens, comme on en a vus sur questions d’identification, de vote électronique ou de protection de la vie privée : croyance répandue mais erronée qu’une adresse IP (dans sa version 4 actuelle) identifie un ordinateur, confiance a priori dans le vote électronique certainement pas partagée par les spécialistes de la sécurité informatique, etc. »

(Rapport de l’Académie des sciences. L’enseignement de l’informatique en France. Il est urgent de ne plus attendre., p. 14)

– « L’alphabétisation numérique pour tous » : les auteurs insistent, à juste titre à mon avis, sur le fait que la fracture numérique n’est pas tant entre ceux qui sont équipés de matériel informatique et ceux qui n’en sont pas équipés qu’entre ceux qui savent s’en servir efficacement et ceux qui ne savent pas. Le numérique est porteur de beaucoup de promesses pour améliorer la société : plus de transparence, plus grande liberté d’expression, accès facilité à l’information et à l’éducation etc. mais aussi de certaines menaces. Il importe que les citoyens puissent à la fois tirer profit de ces avantages et contrôler le développement du numérique dans la société. Pour cela il est nécessaire de les former à mieux comprendre ces questions par une éducation à l’informatique.

(Je passe sur la finalité suivante « Réduire les fractures numériques de genre et de catégorie sociale » qui n’est pas autre chose, à mon avis, qu’une petite glose politiquement correcte pour faire bonne mesure, puisque rien d’autre de sérieux n’est dit à ce sujet dans le rapport).

Ce sur quoi le rapport insiste à plusieurs reprises, c’est sur la nécessité d’apprendre aux élèves des concepts et non des procédures : « Il faut donc systématiquement rechercher l’enseignement des fondements et des concepts, au lieu de former les élèves aux détails d’outils vite périmés, faute de quoi les élèves se périmeront aussi vite que les objets enseignés » (p.17).

Le pôle « pratiques » : article de Michel Guillou « Apprendre à exercer sa liberté d’expression ou apprendre à coder »

(NB : je choisis cet article parce qu’il me semble assez caractéristique de ce que j’ai appelé le pôle « pratiques », même si je dois à la vérité de préciser qu’il ne résume pas toute le pensée de Michel Guillou sur ce sujet. En somme, je le prends comme exemple d’une position sur la question dont je parle, non comme exemple des réflexions de son auteur, par ailleurs plus subtiles et plus complexes que cela.)

Michel Guillou considère cette proposition de créer une nouvelle matière d’enseignement « pitoyable et dérisoire » et estime que les arguments avancés sont fallacieux :

Je cite Benoît Thieulin, président du CNN qui s’est maladroitement engouffré dans l’espace ouvert par l’EPI, les informaticiens de l’Académie des Sciences et la Société informatique de France, qui disait dans L’Express : « Une nouvelle culture numérique émerge pour laquelle les gens ne sont pas formés. Il faut donc enseigner un minimum de culture générale dans ce domaine dès le primaire. Tout le monde doit savoir ce qu’est un logiciel et comment il est conçu, par des couches de codes de langages informatiques ». Vous l’avez compris, c’est le syllogisme habituel : une nouvelle culture numérique est nécessaire, l’informatique en est le cœur donc il faut enseigner l’informatique et le code !

Il récuse ensuite l’idée que l’informatique soit absente des enseignements actuels :

Quant à l’idée que l’informatique serait absente des enseignements d’aujourd’hui, c’est une idée fausse bien sûr. La maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication fait partie de la quatrième compétence exigible pour le socle commun et pour le B2i, aussi imparfait soit-il, les items de laquelle compétence pouvant être validés dans n’importe quelle discipline, des mathématiques à la technologie en passant par la documentation, souvent pionnière en la matière. Par ailleurs, et s’il faut absolument parler des programmes disciplinaires, faut-il rappeler qu’il existe déjà un enseignement optionnel de l’informatique et des sciences du numérique qui devrait être proposé bientôt, si on trouve les professeurs pour les encadrer, à toutes les classes de terminale ? Faut-il rappeler aussi que les programmes de technologie, au premier degré comme dans les collèges, contiennent de très nombreuses références à l’enseignement de l’informatique, dont la compréhension du code ?

Je dois avouer que cette partie de l’article me rend un peu perplexe : en ce qui concerne l’enseignement optionnel de l’informatique et des sciences du numérique, précisément, il est optionnel et ne peut donc pas être considéré comme susceptible de fournir une culture générale de base sur l’informatique. Dans le programme de technologie, je ne vois pas les « très nombreuses références à l’enseignement de l’informatique, dont la compréhension du code ». Je vois quelques références à l’informatique, qui me semble plutôt vue selon une perspective très technique et procédurale, je vois aussi que la seule mention du code est négative : « La programmation d’un support automatique ne demande pas l’écriture de lignes de code. » (Programmes de l’enseignement de technologie, Bulletin officiel de l’Education nationale spécial n° 6 du 28 août 2008, p. 22)

Sur la question du socle commun et du B2i, je n’ai aucun doute ; ce passage est de toute évidence une facétie de Michel Guillou, qui écrivait naguère au sujet du B2i, qu’il qualifiait d' »échec monumental » :

Au moment où il convient maintenant, compte tenu de l’urgence, d’enseigner le numérique et de prendre à ce sujet des décisions, la seule chose sensée à faire est d’annoncer la suppression de ce machin, par ailleurs particulièrement mal nommé.

Définitive, la suppression, de préférence..

Comme de décider de la suppression de la compétence 4 dont les items intègrent aisément l’ensemble des autres compétences, comme j’ai déjà eu l’occasion de le démontrer. Pour y revenir et n’évoquer, par exemple, que les compétences 6 et 7, comment travailler sur « les droits et les devoirs du citoyen » ou « les notions de responsabilité et de liberté et le lien qui existe entre elles » hors de toute référence au numérique qui imprègne les pratiques ordinaires de ces jeunes citoyens ?

(Avoir parfois le courage de renoncer)

Il sait très bien, comme tout le monde, que les items du B2i sont très peu enseignés, en particulier les plus « théoriques », qui sont ceux qui nous intéressent en ce moment.

Mais cela n’est pas l’essentiel de cet article. Le cœur du propos de son auteur est de dire que la vraie priorité pour maîtriser le numérique, plutôt qu’une éducation à l’informatique, est d’apprendre à exercer sa liberté d’expression par le numérique, à publier : « Je suis donc persuadé que l’exercice de ce droit s’apprend, dans le cadre d’une éducation aux médias rénovée, et doit faire partie des nouvelles compétences auxquelles il faut former le jeune citoyen ».

Deux positions irréconciliables ?

On le voit, ces deux pôles correspondent à deux positions très tranchées : création d’une discipline supplémentaire « informatique » comprenant l’apprentissage du code dans un cas, éducation aux médias rénovée dispensée de façon pluridisciplinaire dans l’autre cas.

Il semble difficile de mettre d’accord les tenants de ces deux positions. Pourtant, il faut reconnaître que les deux textes se proposent des objectifs communs : dans les deux cas, il s’agit de former des citoyens conscients, capables de faire des choix éclairés et d’exercer leur liberté d’expression.

Ils ont aussi, me semble-t-il, un autre point commun (et j’espère que ni les uns ni les autres ne prendront ombrage de cette remarque) : une rhétorique prédéterminée par certaines conceptions préalables.

Le vice logique du rapport de l’Académie des sciences est dans une certaine mesure mis en lumière par Michel Guillou dans la citation que j’ai faite plus haut : le numérique induit un changement du monde dans lequel nous vivons, la science informatique est à la base du numérique, donc il faut apprendre la science informatique et la programmation. Si on peut suivre le raisonnement jusqu’à apprendre la science informatique (c’est-à-dire une théorie du traitement de l’information), on ne voit pas très bien pourquoi la technique informatique (le code) arrive ici. C’est ce que j’appellerais la « logique du blop » : un élément arrive dans le discours par la seule raison de sa contiguïté avec un autre qui a été amené logiquement (il apparaît comme une bulle qui éclate sans qu’on s’y attende à la surface du porridge, en faisant « blop »).

Quant au raisonnement de Michel Guillou, je le qualifierais de « logique gaullienne » : le numérique pose des questions sur la société auxquelles il appartient au citoyen de répondre, il faut donc une éducation à la citoyenneté, les questions techniques étant des détails. Par conséquent, je forme un citoyen et l’intendance (numérique) suivra (d’où le nom de cette logique 😉 ). Je crois que depuis la création du B2I en 2000, l’intendance n’a pas toujours suivi comme on l’aurait voulu…

[A suivre… Dans un prochain billet, je dirai ce que je pense de l’enseignement de l’informatique]

De l’amitié : Facebook et vieilles dentelles

Je m’interroge depuis longtemps sur l’aspect social des réseaux sociaux, ou du moins de ce qu’on appelle ainsi désormais : Facebook, Twitter etc. Disons-le d’emblée, je ne partage pas le mépris largement répandu au sujet de ces services et la dévalorisation de leur dimension sociale. Une forme particulière de ce mépris est la remise en cause de la notion d’amis sur Facebook. Vous voyez de quoi je veux parler : ces gens qui, en évoquant les « amis » qu’on a sur Facebook, laissent entendre qu’ils considèrent que ce terme n’est pas approprié. Ils ajoutent un commentaire dévalorisant, en précisant par exemple « soi-disant amis » ou bien indiquent simplement, par leur ton (à l’oral) ou par la ponctuation (à l’écrit), qu’ils mettent « amis » entre guillemets, parce qu’un « ami » sur Facebook n’est pas un vrai ami. Le dernier exemple de ce genre qu’il m’a été donné de voir est ici (milieu du deuxième paragraphe). On comprend bien le message sous-jacent à ce type de réserves : Facebook nous propose des relations humaines dégradées, dénaturées, mais le dissimule en nous trompant par un vocabulaire inapproprié qui renvoie à ce que les relations humaines ont de plus beau, de plus admirable.

Il me semble que ce jugement est une mauvaise façon de poser le problème et je voudrais raconter quelques anecdotes pour illustrer mon propos.

Mettons-nous d’accord sur le vocabulaire

Je considère généralement que quelqu’un a des ‘copains’, qui sont des gens qu’il apprécie, avec lesquels il a des relations relativement régulières, avec lesquels il passe du temps. Parmi ces gens, qui peuvent être assez nombreux, il distingue une poignée d »amis’, des personnes avec lesquelles les liens sont plus forts, avec lesquels les relations se maintiennent plus durablement, même en cas d’éloignement géographique. Eventuellement, dans ce groupe d’amis peuvent encore être distingués, en nombre encore plus réduit (rarement plus d’un ou deux) des ‘meilleurs amis’.

Première anecdote : « c’est pas mon copain, c’est un ami »

Cette mise au point étant faite, venons-en à mes anecdotes.

Je parlais récemment à une jeune fille de vingt ans d’un garçon de son âge avec lequel elle me disait avoir rompu toute relation. Je m’en étonnais : « Pourquoi ? C’était pourtant ton copain ». Ce à quoi elle répondit aussitôt : « Ce n’était pas mon copain [comprendre : ‘petit ami’], c’était un ami ». Il est clair que ce qu’elle appelait ‘ami’ était la même chose que ce que j’appelais ‘copain’.

Le détracteur de Facebook sautera sur l’occasion : « Pauvre jeune fille fourvoyée par la rhétorique pernicieuse et déstructurante de Facebook qui s’imagine que n’importe quelle personne avec qui on est en relation est un ‘ami’ ! »  Voire.  Ma deuxième anecdote aidera à comprendre ce qu’il faut en penser.

Deuxième anecdote : « la soirée avec mes amis »

Il y a une grosse dizaine d’années, ma mère me rapportait, avec une nuance de reproche, qu’un de mes jeunes cousins alors âgé de vingt ans qualifiait d »amis’ les personnes avec qui il passait son temps libre : « Il ne dit pas ‘mes copains’, mais ‘mes amis’ ! » Aurait-il, lui aussi, été trompé par l’idéologie décadente de Facebook ? Je crains bien que non, puisque Facebook n’existait pas à l’époque… Ainsi, déjà, les jeunes appelaient ‘amis’ ce que leurs aînés appelaient ‘copains’.

Troisième et quatrième anecdotes : « ma copine » et « ta petite »

Quand j’avais vingt-cinq ans, ma tante me reprochait gentiment de dire « ma copine » pour parler de ma petite amie, me disant qu’à mon âge il convenait mieux de dire ‘ma compagne’ (ce que je n’aurais assurément jamais dit à vingt-cinq ans) ou ‘mon amie’.

Vers la même époque, ma grand-mère, pour prendre des nouvelles de ma petite amie me demandait : « comment va ta petite ? » J’ai bien sûr compris ce qu’elle voulait dire mais par la même occasion, j’ai compris que quand Guy Béart chantait « ma petite est comme l’eau », il ne parlait pas de sa fille… (et ce n’est pas une plaisanterie)

Vous avez compris où je veux en venir, lecteur : les différentes générations ont toujours eu un vocabulaire différent et la question de l »amitié’ sur Facebook, que certains semblent envisager avec effroi, n’est rien d’autre qu’une insignifiante question de vocabulaire entre générations.

Alors il n’y a pas de problème avec Facebook ?

Hé bien si, il doit bien y en avoir un, si certains le ressentent, mais il n’est pas ce qu’ils croient, à mon avis.

Le problème, d’abord, c’est que ces questions de terminologie entre générations, qui existaient déjà, comme je viens de le montrer, étaient auparavant confinées à quelques repas de famille annuels. Les jeunes repartaient en souriant de ce « verbe d’antan » délicieusement désuet, les vieux en s’attendrissant de ces jeunes qui se complaisaient dans un vocabulaire abscons et un peu approximatif. Mais avec Facebook, le repas de famille dure toute l’année et c’est à chaque instant que ce choc de génération peut se faire sentir : tout le monde est au même endroit et peut, virtuellement, parler à tout le monde, sur un pied d’égalité. Chacun est ainsi confronté à la différence de l’autre sans que cette confrontation soit délimitée. Ce dont je suis convaincu, et j’espère en reparler, est que ce qui pose problème dans les réseaux sociaux n’est pas l’appauvrissement des relations humaines, mais au contraire leur multiplication.

Le problème, surtout, c’est que pour ces échanges entre générations, il faut un langage commun, une sorte de koinè. Traditionnellement, dans les repas de famille dont je parlais, cette koinè est le langage des Anciens : le petit-enfant s’efforce de parler à sa grand-mère en utilisant son langage à elle. Sur Facebook, cette autorité est inversée : la koinè est plutôt inspirée du langage des jeunes. En somme, il faudrait une traduction de Facebook en « langage senior », pour les vieux (ne te retourne pas lecteur, c’est bien de toi que je parle 😉 ), dans laquelle on aurait une liste de ‘copains’, par exemple. Une telle traduction n’existe pas et au fond, c’est ça qui nous met le seum, je crois. 😉

(Précision déontologique : j’ai choisi d’évoquer dans le titre de ces billet les « vieilles dentelles » pour faire référence aux dames âgées que j’ai mentionnées (par ordre d’apparition à l’écran : ma mère, ma tante, ma grand-mère). Cette expression pourrait donner d’elles une image de vieilles dames conservatrices et revêches, un peu comme la comtesse douairière de Downton Abbey ; il n’en est rien, toutes trois sont (ou a été, pour le cas de ma grand-mère), des dames très dynamiques et ouvertes d’esprit.)

La vie d’un collégien du futur : le point sur mes prophéties

J’ai décidé d’essayer de redonner vie à ce blog. Mais pour éviter un réveil trop violent à mes lecteurs réguliers, assoupis depuis plusieurs années, je préfère commencer par publier à nouveau un ancien billet, qui a désormais pris un sens tout nouveau.

En effet, à l’heure où on s’interroge de plus en plus sur le sens du numérique en éducation, où, après une phase d’équipement massif et enthousiaste, on commence à se demander ce qu’apportent les TIC à la pédagogie, je trouve intéressant de ressortir ce vieux billet, que j’avais publié en avril 2006, sur la vie d’un collégien dix ou quinze ans plus tard. Ludovia se proposait cette année, dans cette logique de distanciation critique, d’examiner ce qu’étaient devenues les promesses du numérique ; de la même façon, voici mes propres promesses (ou prophéties, disons-le) que je vous propose de reconsidérer 7 ans après (donc avant l’échéance annoncée). Je vous livre donc ce texte dans son état initial (néanmoins expurgé d’un nombre honteusement conséquent de coquilles) et je le commenterai rapidement dans un prochain billet.

La vie d’un collégien dans dix ans (publié initialement le 4 avril 2006)

Il y a quelques mois, j’ai été contacté par une journaliste du magazine pour les jeunes Okapi afin de donner mon avis sur ce que sera la vie quotidienne d’un collégien européen dans dix ou quinze ans. Comme cette journaliste m’a depuis appris que le dossier ne serait pas traité selon l’angle prévu et que ma contribution ne serait pas utilisée, je la publie ici. J’ai pris d’autant plus de plaisir à faire ce petit exercice que j’ai un fils de 2 ans qui sera donc collégien dans 10 ans. Le cartable d’un collégien sera beaucoup plus léger, dans dix ans ; il lui servira à transporter quelques feuilles de papier et de quoi écrire, mais son instrument le plus important sera son téléphone portable, qui ressemblera un peu aux smartphones que nous connaissons et qui aura de nombreuses fonctions : téléphone, bien sûr, mais aussi appareil photo, baladeur MP3, outil de navigation web. Toutes ces fonctionnalités existent déjà sur certains appareils haut de gamme, mais elles seront alors en standard sur tous les téléphones. Surtout, cet appareil comportera deux nouveautés : un système de géolocalisation et un agent web intelligent. Le premier permettra d’identifier le téléphone de manière unique et de le localiser à chaque instant. On pourra ainsi savoir où il se trouve, ce qui empêchera les vols, mais aussi qui permettra de savoir où est son porteur. Les parents du collégien trouveront ce moyen bien pratique pour être sûr qu’il rentre directement en sortant du collège…

L’agent intelligent se chargera d’une foule de petites tâches qui soulageront le collégien : prendre automatiquement des rendez-vous chez le docteur en accord avec son emploi du temps, rappeler les choses importantes sous forme de SMS ou d’appels téléphoniques et trouver toutes les informations utiles au bon moment. On pourra programmer et interroger cet agent par le clavier ou bien par la voix, pour les quelques cas où ce moyen peut être utile.

Voici à quoi pourrait ressembler une journée :

Le matin, Théo est réveillé par une lumière douce et la dernière chanson de son chanteur préféré, qui émanent de son téléphone portable. Après un solide petit déjeuner, il sort de la maison en prenant son sac à dos et son téléphone portable. Dans la rue, il commence à prendre la direction de l’arrêt de tramway le plus proche, quand son téléphone se met à sonner. Il met son oreillette, c’est son agent intelligent qui lui signale que le prochain tramway va passer à l’arrêt dans cinq minutes et que celui d’après ne lui permettra pas d’arriver à l’heure au collège, compte tenu des conditions de circulation de la journée. Théo se met donc à courir ; il arrive juste à temps pour monter dans le tram.

Pour occuper ses quinze minutes de trajet, il demande à son agent intelligent s’il a du travail qu’il peut faire dans les transports en commun dans le temps dont il dispose ; l’agent lui propose de réécouter le texte sur lequel son professeur d’anglais lui a demandé de travailler.

En arrivant au collège, Théo pose sa main sur une sorte d’écran situé à l’entrée de l’établissement. Ce dispositif sert à s’assurer que c’est bien lui qui porte son téléphone, qui est détecté par des capteurs spécifiques (dans les premières années où ce système de détection était utilisé, cette précaution n’était pas prise et certains jeunes avaient trouvé la solution de donner leur téléphone à un copain pour pouvoir faire l’école buissionnière). Il sait que dans le collège, de nombreux capteurs sont présents : dans chaque salle pour s’assurer que les élèves sont bien présents à chaque cours, à l’entrée de la cantine, pour savoir quels élèves ont pris leur repas etc. Si un élève n’est pas détecté à l’entrée au collège ou dans la salle où il doit être, un SMS est aussitôt envoyé à ses parents pour les informer de ce retard ou de cette absence.

La plupart des cours se déroulent comme quand les parents de Théo étaient au collège : un professeur est devant ses élèves. C’est le cas pour les cours de mathématiques, de français, d’histoire géographie, par exemple. Bien sûr, quelques détails ont changé : l’ordinateur installé sur le bureau du professeur (un vieux Pentium IV récupéré dans l’ancienne salle informatique du collège) qui affiche une image sur le tableau interactif, les élèves qui, pour la plupart, prennent des notes sur leur smartphone. Les livres et les documents utiles pour le cours sont stockés sur internet, dans l’espace numérique de travail de l’établissement, et téléchargés à la demande sur les smartphones. Il faut préciser que pendant les cours, les appareils sont dans un mode particulier qui interdit les communications avec l’extérieur et l’accès aux services de loisirs ; ne pas activer ce mode pendant les heures de cours est passible de lourdes sanctions et la plupart des élèves ont programmé leur agent intelligent pour l’activer dès l’arrivée au collège.

D’autres cours en revanche prennent une forme différente : ils sont faits en visioconférence dans une salle spéciale. Là, chaque élève est isolé dans une sorte de cabine, avec un casque et un micro, devant un écran. Les progrès de la technique permettent d’avoir une image et un son d’excellente qualité, assez semblables à ce qu’ils seraient si le professeur était présent physiquement. Les cours dispensés ainsi sont ceux de disciplines rares : langues vivantes peu enseignées, langues anciennes, options peu choisies. Pendant quelques années, par exemple, seuls une dizaine de collèges de France offraient à leurs élèves la possibilité d’apprendre le grec ancien ; heureusement, la mise en place de ce système de cours par visio-conférence a permis de créer de nouvelles options et d’offrir les mêmes choix à tous les collégiens de France, en mutualisant les cours : Théo a choisi d’apprendre le chinois en 6ème et il vient de commencer le grec en 3ème. Le groupe de grec est constitué de 8 élèves vivant dans toutes les régions de France.

L’année de troisième de Théo, l’année scolaire 2017-2018, a aussi vu la création d’un nouvel ensemble d’options dites européennes : ce sont des cours proposés en visio-conférence dans des collèges de tous les pays de l’Union européenne. Au grand dam du professeur de français, beaucoup de ces leçons sont faites en anglais, mais il en existe dans presque toutes les langues européennes. Comme Théo fait de l’anglais depuis l’école primaire et qu’il a eu souvent l’occasion de consulter des documents dans cette langue pour des recherches faites dans le cadre de l’école ou de ses loisirs, il n’a pas de problème pour suivre sa nouvelle option ‘Introduction to 20th century art’ (il aurait préféré prendre ‘Introduction to political science’, mais il a fait ce choix pour être dans la même classe virtuelle qu’Anthony, son ami de Londres). A la récréation, Théo voit sur les écrans plasma fixés aux murs du collège que M. Blondin, son professeur de mathématiques, est absent, il se réjouit car il sortira ainsi à 15h.

Dans la cour du collège, il réactive son portable pour consulter ses messages. Sa mère lui a laissé un message vocal : “J’ai reçu un email m’indiquant que M. Blondin est absent. N’en profite pas pour faire des bêtises.” Théo sourit en pensant à sa mère en train de lire ses courriers électroniques ; il lui a souvent expliqué que c’est un moyen complètement dépassé pour communiquer, mais elle s’obstine à choisir ce mode de réception pour les informations du collège, qui arrivent au milieu des centaines de messages publicitaires. Et dire que chaque message lui est facturé ! Son téléphone sonne, c’est son agent intelligent qui lui annonce : “Puisque le cours de 15h à 16h est annulé et que la nouvelle console ZRZ 2 que tu as commandée est arrivée ce matin, nous pourrions passer la chercher. Toutefois, je ne sais pas si c’est compatible avec la consigne envoyée à 9h53 par ta mère.” Théo affirme que oui et l’agent lui indique qu’une demande de confirmation a été envoyée à sa mère par courrier électronique.

A la sortie, Théo prend donc le chemin de la boutique de jeux vidéo. En route, son agent lui indique qu’il a détecté la présence de son ami Siméon, qui passe à proximité. Il lui envoie un SMS et ils décident de se retrouver au coin de la rue. Dans le même temps, Théo téléphone à Cassandra, une amie qu’il a rencontrée dans un échange avec une école de Bilbao, quand il était en CM1. Il se souvient de l’époque où, quand il avait 6 ans, les communications avec un téléphone portable étaient payantes et que sa mère lui reprochait toujours de passer trop de coups de téléphone à ses amis.

De retour chez lui, il demande à son agent le travail qu’il a à faire pour le lendemain. Celui-ci lui propose une organisation pour faire les différents travaux dans les meilleures conditions, en tenant compte de son état de fatigue, de ses habitudes de travail et de la démarche qui lui convient le mieux : d’abord faire les travaux écrits, puis les leçons à mémoriser, qu’il réécoutera (grâce à un synthétiseur vocal) en prenant sa douche avant de se coucher. L’agent tient aussi compte du fait que Théo a hâte d’essayer sa nouvelle console et commence à télécharger les jeux les mieux notés sur les forums qu’il fréquente.

Après avoir fait son travail, Théo connecte sa console sur son ensemble multimédia. Cet appareil est en fait un petit ordinateur connecté avec des liaisons sans fil à un ensemble de périphériques : clavier, grand écran, haut-parleurs, joystick. Bien sûr il est aussi relié au smartphone, avec lequel il se synchronise automatiquement. D’autres gadgets sont également connectés à cet appareil : une horologe qui projette l’heure au plafond, des compteurs lumineux indiquant combien des amis de Théo sont connectés en ce moment ou le nombre de messages sur son répondeur.

Pourquoi j’ai ouvert un nouveau blog

« Un nouveau blog, direz-vous ? Et pourquoi ne pas alimenter plutôt ceux, commencés jadis, qui dépérissent ? » J’y viens, j’y viens, lecteur impatient. En effet, j’ai décidé de créer un nouveau blog, mais contrairement à ce que j’ai fait jusqu’à maintenant quand j’ai créé un blog, celui-ci ne remplace pas le précédent. Il correspond à un besoin que j’éprouve depuis longtemps de pouvoir partager des informations, des liens, simplement, mais en ayant parfois aussi la possibilité de rassembler plusieurs liens dans un même billet, de les commenter etc. J’ai parfois été tenté de le faire sur mon ancien blog, directement, en écrivant des billets brefs ou indirectement, en postant automatiquement mes bookmarks de delicious. Néanmoins, aucune de ces méthodes ne me semblait assez simple et assez efficace. En outre, je ressentais un certain malaise à mélanger des billets relativement longs et rédigés avec des notes informelles et des liens. C’est la raison d’être de ce nouveau blog qui me sert depuis maintenant presque deux ans à noter les liens intéressants, des idées qu’on consigne au fil de la plume, tandis que l’ancien, Avec ou sans bruits parasites, reste plutôt consacré à des textes plus longs et plus « écrits ». J’ai choisi le titre  de mon précédent blog en référence à un texte d’Hermann Hesse qui parle du progrès technique. Le titre du nouveau renvoie à un extrait de L’Homme sans qualités de Robert Musil. Car ce blog sera une sorte de reflet de la réalité, un moyen de relayer l’actualité, de consigner ce que j’aurai appris ou découvert, en somme, un espace consacré à ce qu’on a gagné en réalité… et donc que l’on a perdu en rêve.

Chat au court-bouillon ?

Je viens de découvrir le billet que Frédéric de Villamil consacre à répondre à un billet de Francis Pisani intitulé « Google se tire une balle dans le pied », dont j’ai, par la même occasion, parcouru les commentaires (qui sont, comme souvent sur Transnets, très nombreux et, disons-le entre nous, pour la plupart très agressifs). Je suis sidéré de la naïveté avec laquelle toutes ces réponses accusent Francis d’être naïf… Il a sans doute prêté le flanc à un tel reproche en parlant de « contrat moral » et son titre est peut-être un peu excessif, mais il me semble qu’il a raison sur le fond.

En effet, Google a rigoureusement le droit de mettre un terme aux services qu’il propose gratuitement, tout comme un supermarché a rigoureusement le droit de cesser de commercialiser un produit particulier (c’est d’ailleurs ce que font régulièrement les grandes surfaces de l’agglomération paloise en ne proposant plus de nouilles udon, soba et ramen crues dès la période du « Nouvel an chinois » passée ; mais je parlerai de ce scandale une autre fois 😉 ). Néanmoins, en faisant ce choix, le supermarché prend le risque que les clients intéressés par ce produit décident d’aller faire leurs courses ailleurs… et n’achètent plus le produit en question (forcément) mais plus non plus d’autres produits « rentables ».

Dans le cas de Google, bien sûr il est inconsidéré de mettre toutes ses données sur un service en ligne, sans avoir de sauvegarde, bien sûr il n’est pas raisonnable d’être dépendant d’un service quelconque, mais, comme le rappelle un commentaire de Transnets, dans le choix d’un outil et de l’utilisation qu’on en fait, il y a toujours à faire des compromis, à accepter certains risques (ou à faire des efforts supplémentaires pour les éviter). Le fonds de commerce de Google (devrais-je dire son business model ?) est, si j’ai bien compris, de proposer des services gratuits à ses utilisateurs et d’en profiter pour leur montrer de la publicité. Or si je suis utilisateur régulier d’un service et que ce service vient à disparaître, je vais y réfléchir à deux fois avant de m’engager dans l’utilisation d’un nouveau service que le même prestataire me proposera et donc je serai moins enclin à accepter d’être exposé à ses publicités dans le cas qui nous concerne.

Il ne s’agit pas de « contrat moral », de « dû », de « syndrôme très français », de « gratuité systématique des applications », mais simplement de pavlovisme, ce que la fatidique sagesse populaire résume en disant « chat échaudé craint l’eau froide ».

Du côté de Google, il ne s’agit pas plus de « contrat moral », d’engagement ou de je ne sais quoi, mais simplement de communication et d’image de marque : le signal qui est donné aux utilisateurs est « Investissez du temps et de l’énergie à mettre vos données dans mes applications, mais il se peut que ce soit perdu du jour au lendemain » et dans le cas de Google et de sa façon de gagner de l’argent, je ne suis pas sûr que ce soit un excellent signal (même si, bien sûr, les services dont il est question ne sont pas purement et simplement arrêtés pour le moment). Et je pense donc que le raisonnement de Francis est juste sur le fond.

Cependant, on ne louera jamais assez Dieu pour cela (et c’est en cela que je pense que Francis Pisani exagère), on peut rester confiant dans la capacité de Google à évaluer l’impact de cette décision sur ses affaires. J’imagine que les applications concernées n’ont pas beaucoup d’utilisateurs réguliers (je dois avouer que je ne connaissais parmi elles que Google Notebook et Google Video) et que les effets de bord du mécontentement de ces utilisateurs (comme Francis) ne menacent pas sérieusement la situation de l’entreprise. A ce titre, il ne s’agit probablement pas d' »une balle dans le pied ». D’un ongle cassé, peut-être ?

Remarque : Si vous êtes, comme moi, utilisateurs de Google Notebook, vous serez peut-être intéressés par les billets de Benoit Descary :

Productivité ?

Mogore attire notre attention sur le changement de ton du blog 43folders . Ces réflexions me rappellent ce que je pense à chaque fois que je vois la liste interminable des blogs taggés ‘productivity’ dans mon agrégateur RSS (dont 43f fit partie, naturellement) et ces moments où je lis des blogs sur la productivité pour ne pas faire ce que je devrais faire…

Elles me font aussi penser à mes débuts avec la méthode GTD : confiant dans mon système et excité par la nouveauté de la méthode, je consignais toutes mes tâches à faire et ne faisais rien… à part des ‘reviews’ et des améliorations à ce système… C’est sans doute une réaction naturelle face à la nouveauté : quand j’ai un nouveau téléphone, je passe beaucoup de temps à lire la documentation, à changer des options… avant de recommencer à ne plus savoir faire les opérations élémentaires qui font son originalité et à me contenter de téléphoner bêtement…

L’âge du péta-octet…

Mon fils de bientôt cinq ans, qui, comme beaucoup de ses semblables, n’est pas chiche d’hyperboles, m’a demandé pendant l’été ce qu’il y a après « méga » (parce que mieux que superbien, c’est mégabien), puis ce qu’il y a après « giga »… Lorsque, quelques jours plus tard, il m’a demandé ce qu’il y a après « téra », je dois avouer que j’ai séché et ce n’est qu’après une recherche sur le web que j’ai pu lui répondre « péta » (mais en tant que parent responsable, j’ai néanmoins pris la peine de lui expliquer que le terme « pétabien » risquait de ne pas être intelligible pour tous).

Aussi ai-je particulièrement prêté l’oreille (devrais-je dire l’oeil ?) quand j’ai découvert, par l’intermédiaire d’Olivier Ertzscheid, l’article de Chris Anderson traitant de l’impact de l’Age du Pétaoctet sur la méthode scientifique. Depuis, Hubert Guillaud a écrit un article de synthèse très intéressant sur la fin de la science, dans lequel il évoque cet article : Est-ce que le déluge de données va rendre la méthode scientifique obsolète ?. Mais ce n’est pas de cet impact sur la science que je veux parler ici ; cet article m’a inspiré quelques réflexions, qui rencontrent des préoccupations que j’ai depuis longtemps.

D’abord cette idée d’un déluge de données dans lequel des logiciels pourraient trouver un sens automatiquement (l’exemple le plus saisissant est celui de la traduction : « à corpus de données égal, Google peut traduire du klingon en persan aussi facilement qu’il peut traduire du français en allemand », dit Anderson) me semble mettre en évidence une tendance importante et durable de l’internet actuel : la domination d’un système fonctionnant avec des données peu structurées, au détriment d’un système plus rigoureux et plus structuré. En somme, il s’agit d’une victoire du web 2.0 (ou 3.0, je ne compte plus) sur le web sémantique. C’est ce principe qui s’applique pour le moteur de recherche de Google ou les sites de signets collaboratifs comme del.icio.us : on ne demande pas au fournisseur de contenu (pages web ou liens dans ces exemples) de faire une description exhaustive de son contenu ; à la rigueur, on lui demande quelques mots clés (tags), mais cela ne va guère au-delà. Il me semble que cette tendance se confirme d’une façon très nette et que la mise en place d’un formalisme imposant de taxinomies et d’ontologies qu’on nous promet parfois n’aura pas lieu, en tout cas pas dans les dix ans qui viennent. A la place, le web continuera à être une sorte de vrac dans lequel les ordinateurs devront se débrouiller pour trouver un sens (quel qu’il soit), et non un objet bien propre spécialement fabriqué pour qu’ils le comprennent.

A cet égard, le billet de Jean Véronis sur la nouvelle fonctionnalité de Google de détection de pièce jointes oubliées, dans lequel il explique la méthode qu’il utiliserait pour implémenter cette fonction est un témoignage éloquent. Cette méthode donne véritablement le vertige : il s’agit d’ « extraire à l’aide d’outils statistiques les n-grammes qui apparaissent fréquemment dans les mails avec attachement et pas dans les mails sans attachement », puis « pour chaque nouveau mail, regarder si un de ces n-grammes magiques est présent dans le texte, et si oui déclencher une alerte ».

D’ailleurs, je crois que l’époque est au refus d’un formalisme excessif. Le succès d’une méthode comme GTD n’est sans doute pas étranger à ce refus : un projet, tel que le décrit David Allen, n’est pas un ensemble complexe de systèmes et de sous-systèmes, qui peut être représenté de diverses façons (diagramme de Gantt, de PERT…) ; c’est plutôt un ensemble d’actions qui peut être consigné sur le dos d’une enveloppe et dont la représentation essentielle est la Next action, c’est-à-dire « Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ? »

En somme, le principe directeur, connu depuis toujours, est que « le Mieux est l’ennemi du Bien » et plutôt que d’avoir un modèle qui prévoit tout, il vaut mieux avoir un modèle facile à adapter quand on aura besoin de lui faire faire quelque chose d’imprévu… Les méthodes de programmation dites « agiles » ne reposent pas sur autre chose.

Mais aussi cette situation a un impact sur l’informatique en général : d’abord parce qu’elle peut contribuer à populariser l’idée qu’un ordinateur doit travailler à la place d’un humain et non lui donner du travail… Truisme… mais qui ne paraît pas si évident pour tous nos semblables : l’ami qui m’a dit il y a quelques années « Pourquoi as-tu 2 (ou 3 ou 6…) ordinateurs, tu ne peux pas être assis devant tous en même temps ? », sans savoir qu’un bon ordinateur est précisément celui que j’utilise sans être assis devant lui, ou bien ceux qui ne veulent pas utiliser l’informatique parce qu’ils n’ont pas le temps…

Je crois que cette tendance a aussi une conséquence sur le métier d’informaticien. En effet, de nos jours, il est possible de programmer facilement, sans avoir de compétences théoriques importantes. C’est un raisonnement que je me fais depuis longtemps à mon propre sujet : je passe une partie importante de mon temps de travail à écrire du code et pourtant, je n’ai jamais étudié l’informatique et je n’ai pas de connaissances approfondies en algorithmique. Un exemple parmi beaucoup d’autres : tout ce que j’ai pu apprendre sur les algorithmes de tri (que je n’ai appris que par curiosité et jamais par besoin) ne m’a jamais été directement utile, parce que toutes les fois où j’ai eu à trier des données, il était plus simple et plus efficace d’utiliser une fonction native ou fournie par une bibliothèque du langage que j’utilisais (le plus souvent python).

J’ai longtemps pensé que cette approche était caractéristique d’un autodidacte de la programmation, professeur de lettres de formation, mais j’ai constaté au contact de ‘vrais’ informaticiens, ou de stagiaires qui finissaient des études (de type BTS ou DUT) en programmation que beaucoup n’ont pas de notions théoriques plus approfondies et que ces connaissances ne sont guère utiles dans la pratique quotidienne de beaucoup de programmeurs.

Or l’âge du péta-octet exige une vraie réflexion sur les algorithmes : le volume gigantesque de données nécessite des traitements optimisés pour être réalisables dans des conditions acceptables, les opérations à mettre en oeuvre impliquent des notions sur les statistiques que tous ne possèdent pas. La conséquence de cela va être l’élargissement du fossé entre l’élite des programmeurs, très compétents, détenteurs de connaissances très pointues dans des disciplines scientifiques, et la piétaille des scripteurs, qui sera de moins en moins distincte des power users, de plus en plus nombreuse. Bien sûr, cette fracture existe déjà, mais il y a fort à parier qu’elle va aller en s’accentuant.

Convertir des fichiers ogg ou speex en mp3

Je me suis trouvé souvent dans le situation de vouloir écouter des fichiers audio sur un appareil qui ne connaissait pas le format utilisé (le plus souvent Ogg ou Speex). Tous les appareils lisent le MP3 en revanche. J’ai donc voulu trouver un utilitaire pour faire la conversion.

Pour convertir des fichiers ogg en mp3, tout est expliqué ici. Pour les speex (extension .spx), le principe est le même, mais en utilisant la commande speexdec au lieu de oggdec afin de convertir le fichier en wav (la syntaxe est un tout petit peu différente).

Note : Je suis sous Linux, mais on doit pouvoir faire fonctionner ce script sous Windows avec Cygwin.

Une visio avec Montaigne ?

Un nouveau blog… Il y a un petit moment que je songe à ce changement, surtout pour ne plus avoir à me préoccuper des mises à jour (ou plutôt de leur absence…) , du spam (plusieurs centaines de commentaires indésirables par jour, qui ne permettent pas de voir celui qui pourrait être intéressant)… C’est donc décidé, j’emménage ici, avec un blog tout neuf (mais dans lequel j’ai tout de même importé tous mes anciens billets), un blogroll vide, que je peuplerai petit à petit (je me suis rendu compte que certains des liens que je donnais n’avaient pas été mis à jour depuis plus de trois ans).

Surtout, pour bien marquer ce nouveau départ, j’ai voulu changer le titre de mon blog-notes et pour ce faire, il m’a semblé judicieux de me placer sous l’illustre patronage de Hermann Hesse qui écrivait dans Le Loup des steppes (en 1927) :

[Le narrateur est engagé dans une conversation avec sa logeuse.]

Nous parlâmes également de son neveu et elle me montra, dans une pièce attenante, le dernier objet qu’il avait réalisé pendant ses moments de loisir. Il s’agissait d’une TSF. Le jeune homme, assidu à la tâche, passait ici ses soirées à fignoler cet appareil. Il était enthousiasmé par le principe de la transmission sans fil et s’agenouillait pieusement devant le dieu de la technique qu’il révérait. Au bout de milliers d’années, ce dieu était parvenu à découvrir et à représenter de manière extrêmement imparfaite, des choses que chaque penseur connaissait depuis toujours et utilisait avec plus d’intelligence. Nous évoquâmes ce sujet car la tante se montrait légèrement encline à la piété et ne détestait pas les discussions de nature religieuse. Je lui déclarai que l’omniprésence de toutes les forces et de tous les actes accomplis dans le monde était déjà parfaitement connu des anciens hindous. En construisant un appareil encore terriblement imparfait, capable de recevoir et de diffuser les ondes sonores, la technique avait simplement porté à la conscience universelle un petit fragment de ce savoir. Quant à l’élément essentiel de cette vérité ancienne, la non existence du temps, la technique continuait de l’ignorer aujourd’hui. Au bout du compte, cependant, cet élément serait naturellement « découvert » lui aussi et tomberait entre les mains des ingénieurs affairés. On s’apercevrait peut-être très prochainement que, de même que nous pouvons entendre à Francfort ou à Zurich des concerts joués à Paris et à Berlin, nous baignons dans le flot permanent des images et des événements présents, immédiats. Mais ce n’était pas tout. On comprendrait également que l’ensemble des événements survenus depuis la nuit des temps sont enregistrés et présents de la même manière que le reste et qu’un jour, sans doute, nous entendrions parler le roi Salomon et Walter von der Vogelweide, avec ou sans fil de transmission, avec ou sans bruits parasites. Pour finir, je déclarai que, tout comme les débuts actuels de la radio, cela permettrait uniquement à l’humanité de fuir face à elle-même, face à ses buts ultimes, et de s’environner d’un réseau de plus en plus serré de distractions et d’occupations vaines.

« Un réseau de plus en plus serré de distractions et d’occupations vaines », dites-vous ? Comment ne pas reconnaître dans ces lignes une réalité qui nous est si proche ? Et si nous acceptons cette lecture prophétique, poussons-la encore avant et reconnaissons qu’un jour nous pourrons entendre la voix d’Apollonius de Tyane ou de Chrétien de Troyes. Cette perspective peut sembler absurde, mais songeons aux reconstitutions du passé que permettent les techniques de modélisation 3D, songeons à ce qu’auraient dit nos ancêtres pas si lointains de la possibilité qu’un message écrit ou sonore, qu’une image, arrivent à l’autre bout du monde en une seconde.

Bien plus : je me plais à musarder sur les sites comme « Copains d’avant » ou Facebook. J’y croise, bien sûr, des personnes que j’ai connues il y a quelques années, mais aussi, des personnes que je ne connaissais pas : ce garçon qui faisait du rugby avec moi, mais dont je ne connaissais que le prénom, cette fille que je connaissais de vue parce qu’elle fréquentait le même collège que moi, mais à qui je n’ai jamais parlé et dont je ne savais pas même le nom. Et ces gens dont je ne savais rien, non parce que je les ai oubliés, mais parce que je n’ai jamais rien su à leur sujet, je me retrouve à connaître leurs noms, à savoir des choses sur les études qu’ils ont poursuivies etc. En somme, j’apprends des choses sur mon passé.

Tout cela me rend fort enclin à croire, à espérer du moins, qu’un jour je pourrai entendre des voix que nous croyons perdues pour toujours, que je pourrai dialoguer avec des personnes mortes depuis longtemps.

Quant à la dimension pessimiste de cette citation, je préfère, comme le narrateur le fait dans le roman, « adopt[er] plutôt le ton de la plaisanterie, de l’amusement qui fit sourire la tante ».

Blogué avec le Navigateur Flock

Tags: ,,,,,